Pourquoi le système politique résiste aux lois environnementales (et sociales) si fortement et efficacement ?
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En un mot, selon l’analyse de Thwink, les gouvernements du monde entier, intentionnellement ou pas, œuvrent dans l’intérêt des grandes entreprises à but lucratif, incompatible avec l’intérêt de la majorité des gens.
Je m’attends à deux réactions face à cette affirmation, en me basant sur celles que j’ai ou que j’aurais pu avoir dans le passé . L’une serait « encore cette absurdité qui diabolise les entreprises et les rendent responsables de tout ». L’autre serait « rien de nouveau ici, j’avais déjà conscience de cette incompatibilité ». Si le fait que j’oppose les intérêts des entreprises à ceux des populations vous dérange, regardez ce court article. Si vous êtes d’accord avec cette opposition, poursuivez votre lecture, la nouveauté arrive.
Pour essayer de comprendre pourquoi le système politique résiste si fortement et si efficacement aux lois qui permettraient de résoudre la crise environnementale, nous analyserons la structure du système politique. Une façon intéressante de s’y prendre est de s’interroger sur les changements qui l’ont amené à évoluer vers des démocraties.
Avant la démocratie, que vous aimiez votre Roi ou non ne faisait pas de différence: les Rois régnaient comme bon leur semblait. Puis vint la démocratie, avec un mécanisme pour changer cela : le vote. Que les gens aiment les gouvernant.e.s ou non n’est plus un détail, puisque les politicien.ne.s ont maintenant besoin des votes des gens pour accéder au pouvoir.
Explicitement ou implicitement, au moment de décider pour qui on vote, nous avons tendance à comparer les performances souhaitées aux performances effectives des politicien.ne.s (Cela s’applique aussi aux programmes électoraux. Nous analysons si ce qui est proposé dans les programmes est en accord avec les sujets que nous voudrions voir porté par les politicien.ne.s). Si l’écart entre nos projections et les résultats réels est faible, nous voterons probablement pour la ou le même politicien.ne ou parti politique (et peut-être même ne ferons-nous pas l’effort de voter, car si l’écart est faible nous pouvons avoir le sentiment que « tout va bien » et que cet effort est inutile). Si l’écart augmente, notre motivation de voter pour un.e « meilleur.e » candidat.e augmente aussi.
Le mécanisme de vote, une boucle rétroactive de rééquilibrage, introduit chez les politiques une incitation à satisfaire les intérêts des citoyen.ne.s. Et vous l’avez peut-être remarqué, cette incitation ne marche pas toujours très bien.
Bien que le monde ait évolué positivement dans de nombreux domaines grâce au mécanisme de vote, Thwink développe l’idée que nos démocraties sont incomplètes. Ceci serait la raison principale pour laquelle la plupart des pays démocratiques sont gouvernés par des politicien.ne.s qui, consciemment ou non, défendent les intérêts des entreprises qui vont à l’encontre des lois environnementales.
Pourquoi cela ? Pourquoi votons-nous pour des politicien.ne.s qui défendent les intérêts des entreprises plutôt que les nôtres ? (spoiler : ce n’est pas parce que les gens sont stupides).
Tout simplement, nous ne savons pas qu’ils ou elles le font. Il y a un décalage entre les performances réelles des politicien.ne.s et notre perception de leurs actions. Afin de comprendre ce décalage, il nous faut regarder la stratégie qu’ils ou elles utilisent pour être élu.e.s.
Il y a deux stratégies principales : l’utilisation de la vérité (ou du moins d’une information aussi objective que possible) et l’utilisation du mensonge ou d’une information biaisée. Si la « vérité » peut ne pas exister, il y a une grande différence entre essayer de porter l’information la plus exacte possible selon les preuves et les consensus scientifiques, et négliger ces preuves et manipuler les faits pour créer une réalité destinée à bénéficier à un groupe minoritaire. L’utilisation d’une information fausse ou biaisée peut être volontaire (avec de nombreux exemples dans ce documentaire et dans celui-ci), ou résulter de politicien.ne.s mal informé·.e·s ou mal conseillé.e.s (comme c’est le cas selon moi en ce qui concerne la croissance économique).
Afin d’accéder au pouvoir, les politicien.ne.s qui gouvernent pour le bien commun essaieront, en disant la vérité, de convaincre les électeurs de voter pour eux et elles. Ceux et celles qui défendent les intérêts d’une minorité, ce qui en l’état actuel signifie les intérêts des grandes entreprises, utilisent la tromperie pour arriver au pouvoir. Faire campagne en disant la vérité aux gens, c-a-d que leurs intérêts sont moins importants que ceux des entreprises, n’est pas une option, peu de personnes voterait alors pour ces politicien.ne.s.
Ces deux types de politicien.ne.s s’affrontent dans un duel, puisque celui ou celle des deux qui convaincra le plus de gens accèdera au pouvoir (les “+” à côté des flèches signifient que quand le premier élément augmente, le second augmente aussi et inversement).
Ce duel toutefois est inégal. Les politiques qui utilisent le mensonge ou l’information biaisée ont un avantage inhérent sur leurs adversaires. Ces politicien.ne.s peuvent mentir, faire des promesses fallacieuses, inventer de fausses solutions, effrayer les gens avec de faux ennemis, prioriser les objectifs qui leur conviennent, et cacher des informations aux electeur.ice.s.
La fausse information peut être exagérée et manipulée à souhait. La vérité non. En conséquence, la boucle de la « fabrique de l’ignorance » l’emporte et domine le système politique.
L’information trompeuse clé utilisée pour bloquer les lois environnementales est l’idée que la croissance économique devrait être la priorité des gouvernements car c’est la seule voie possible pour garantir le bien-être des citoyen.ne.s (et pour résoudre la crise environnementale). Le récit dominant nous dit qu’il n’y a pas à s’inquiéter : la croissance économique, associée à l’ingéniosité humaine et à la technologie, nous permettra de conserver nos modes de vie tout en réduisant l’impact environnemental. Cette idée est certainement plus séduisante que l’idée que notre système socio-économique peut s’effondrer, ou que nous ne pourrons plus prendre l’avion aussi souvent qu’avant. Des preuves scientifiques et de nombreuses données indiquent que le futur que décrit la croissance économique est peu vraisemblable, mais ceci n’a pas d’importance si les gens ne le savent pas.
Notre système politique, en permettant d’exploiter cet avantage inhérent, bénéficie aux politiques qui utilisent la tromperie (particulièrement s’ils placent la croissance économique en tête de leurs priorités) afin de remporter les élections. Plus ils/elles jouent la carte de la tromperie, plus ils/elles ont des chances de gagner, tant que les gens ne s’en aperçoivent pas. Autrement dit, nos démocraties, par leur structure intrinsèque, désavantagent et parfois excluent les politiques qui utilisent la vérité pour arriver au pouvoir.
Si je prends le temps d’écrire ces articles c’est que je suis profondément convaincue que nous pouvons faire mieux que ça. Nous pouvons décider de ne pas tolérer un système politique dominé par “la fabrique de l’ignorance”.
Beaucoup de personnes diront, cependant, que le changement n’est pas possible, qu’il est trop tard, que nous avons le système politique que nous méritons. Et la boucle de “la fabrique de l’ignorance” dont nous venons de parler peut nous éclairer sur les raisons qui poussent de nombreuses personnes à penser ainsi.
Leur désespoir, à mon avis, pourrait être dû à la raison suivante : plus les politicien.ne.s utilisent la tromperie pour accéder au pouvoir, plus l’idée que « tous les politicien.ne.s sont corrompu.e.s » est confirmée et renforcée. À cela s’ajoute l’impact d’idées telles que l’individualisme et la méritocratie (activement mises en avant pendant des décennies), ainsi qu’une éducation basée sur la pensée analytique, qui nous amènent à imputer la responsabilité des problèmes aux individus, au lieu de nous concentrer sur les incitations du système qui poussent (et parfois forcent) les gens à se comporter comme ils le font.
Les psychologues appellent cela l’erreur fondamentale d’attribution. Cette tendance, alliée à la réalité que nous observons (par exemple Trump élu président des Etats-Unis), renforce le fatalisme, c-à-d l’idée que « tout changement est impossible ». Et ceci n’est pas un détail : les experts en communication pointent le fatalisme comme l’obstacle clé à la résolution de la crise environnementale. Le fatalisme est renforcé puisque, si « tous les politicien.ne.s sont corrompu.e.s », alors ce doit être « dans la nature humaine ». La nature humaine doit être mauvaise, et donc notre système socio-économique serait ainsi le meilleur que l’on puisse obtenir dans ces conditions.
Ou pas. Parce que ce ne sont peut-être pas les gens qui sont en cause. Il ne s’agit peut-être pas de « la nature humaine ». Les politicien.ne.s et les PDG ne sont peut-être pas diaboliques, ne sont peut-être pas « naturellement » corrompu.e.s.
Et si on regardait plutôt la structure des systèmes ? Et si les résultats indésirables que l’on observe provenaient d’incitations générées par cette structure ?
Un des messages clé de l’approche systémique, sur laquelle est basée cette analyse, est que de bonnes personnes peuvent prendre de mauvaises décisions si le système dont elles font partie est mal conçu. Autrement dit, la façon dont nous choisissons de concevoir la structure du système est ce qui, pour une grande part, détermine les comportements et les résultats que nous observons.
Etant donné que c’est nous qui créons les systèmes sociaux, c’est aussi nous qui pouvons les modifier. Des monarchies aux démocraties, nous avons modifié la structure du système dans une tentative de rendre les politicien.ne.s redevables de leurs actions en introduisant le mécanisme de vote. Les gens étaient les mêmes, ils n’ont pas été « remplacés ». Pourtant, les comportements et résultats ont été significativement changé.
Cependant, l’introduction du mécanisme de vote n’a pas suffi pour donner la priorité au bien-être des gens sur le long-terme. Tout en constituant un énorme pas en avant, nos démocraties résistent encore aux politiques publiques et aux lois dont nous aurions besoin pour résoudre la crise environnementale.
L’article suivant s’intéresse à ce qui devrait changer dans notre système politique pour atteindre une situation où les lois environnementales ambitieuses passeraient.
Cet article fait partie d’une série dont l’introduction se trouve ici.
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