Comment pouvons-nous reconfigurer nos démocraties ?
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Dans l’article précédent, nous avons vu que nos démocraties bloquent les lois dont nous avons besoin parce que nous élisons des hommes et femmes politiques qui défendent les intérêts des entreprises plutôt que les nôtres, ceux des citoyens. Nous votons pour ces politicien.ne.s parce que nous ne réalisons pas qu’ils exploitent l’avantage inhérent des fausses informations, ce qui fait que « la fabrique de l’ignorance » est la boucle dominante du système politique.
Nous avons vu également que, pour que les démocraties agissent pour résoudre la crise environnementale, la boucle prédominante doit passer de « la fabrique de l’ignorance » à la « fabrique des connaissances ». Nous aborderons dans cet article comment intervenir dans le système pour passer de démocraties qui résistent aux lois environnementales à des démocraties pro-actives en leur faveur. Nous utiliserons pour cela la notion de points de levier.
Un point de levier est un endroit où intervenir dans le système. Un point de levier à faible impact est un endroit où une action entraînera un faible changement. Un point de levier à fort impact est un endroit où une action entraînera un grand changement.
Plus nous nous attaquons aux causes profondes d’un problème, plus le point de levier est puissant. Plus nous nous concentrons sur des symptômes ou des causes intermédiaires, plus le point de levier est faible. Les points de leviers à fort impact sont souvent indirects et contre-intuitifs, mais aussi plus puissants que les points de levier faibles.
Nous agissons sur un point de levier à fort impact quand nous innovons au niveau du système, et modifions sa structure et son fonctionnement afin que le système désire résoudre le problème qu’il a devant lui. Comme mentionné plus en haut, pour aller en direction d’une démocratie qui veuille résoudre la crise environnementale, nous avons besoin d’un système politique dominé par « la fabrique des connaissances », et donc structuré pour produire des vraies — plutôt que des fausses — informations.
Il y a deux options pour que cette boucle devienne dominante :
1. Nous pouvons accélérer « la fabrique des connaissances » en étant plus nombreux à dire la vérité, et/ou
2. Nous pouvons casser ou affaiblir « la fabrique de l’ignorance » en limitant la capacité des politiques à exploiter l’avantage inhérent de la duperie.
L’un de ces points de levier a un impact faible, l’autre a un impact fort. L’une de ces options est celle sur laquelle la plupart (sinon tous) les efforts des acteurs du changement se concentrent, l’autre n’a jamais été testée sur une large échelle.
Les efforts pour accélérer « la fabrique des connaissances » comprennent les marches, la désobéissance civile, les campagnes de soutien en faveur des lois environnementales, les articles scientifiques, les tribunes, etc.
Ces efforts appuient, toutefois, sur un point de levier à faible impact. Le fait que davantage de personnes disent la vérité laisse intacte la partie de la structure du système qui est à l’origine du problème et qui résiste au changement, c’est-à-dire “la fabrique de l’ignorance”. Bien qu’importantes, les stratégies “plus de vérité” n’ont pas permis, et ne permettront très probablement pas , un changement systémique à elles seules (plus d’informations à ce sujet ici). Si vous êtes d’accord sur le fait que nous avons besoin d’un changement systémique pour que nos démocraties veuillent résoudre la crise environnementale (et d’autres problèmes complexes), vous serez peut-être aussi d’accord sur la nécessité d’une nouvelle stratégie.
Ce qui nourrit « la fabrique de l’ignorance », ce sont les fausses informations non détectées. Et ce qui permet que les fausses informations ne soient pas détectées est l’incapacité des gens à discerner le vrai du faux. Cette incapacité n’est pas un handicap individuel, mais le résultat d’un système dominé par la « la fabrique de l’ignorance”. Comme nous l’avons mentionné dans l’article précédent, nous tolérons cette structure parce que nous ne nous rendons pas nécessairement compte de l’importance d’une information de qualité pour le bon fonctionnement des démocraties, et pour résoudre la crise environnementale ou toute autre lutte à laquelle vous souhaitez peut-être contribuer.
Agir au niveau de “la fabrique des connaissances” et laisser intacte “la fabrique de l’ignorance” c’est comme faire une course à pied contre une Ferrari. Avec l’information, en plus de son attirance (qui peut être accrue pour les fausses informations), arriver le premier est fondamental car il est plus facile pour notre cerveau de croire en quelque chose de nouveau que de changer d’avis sur ce qu’il connait déjà. “Faire le plus de tours possibles” est également essentiel car plus une information est répétée, plus elle devient familière et incontestée.
Quelque soit le nombre d’entre nous qui courent à pied, la Ferrari arrivera toujours plus vite et fera toujours plus de tours. Aussi indirect que cela puisse paraître, pour “changer le système”, nous devons rediriger une partie des efforts dirigés vers la « fabrique des connaissances », et tenter plutôt de détruire l’avantage inhérent de la « fabrique de l’ignorance ». Nous devons “casser” la Ferrari.
Comme nous l’avons fait avec le mécanisme du vote qui a permis de passer des monarchies aux démocraties (expliqué ici), nous pouvons le faire en ajoutant une boucle d’équilibrage pour affaiblir “la fabrique de l’ignorance”, afin que la « fabrique des connaissances » devienne dominante. Ceci est crucial car, sans ce changement, le système continuera à donner l’avantage, et donc vraisemblablement à porter au pouvoir, des politiques qui résistent aux lois environnementales (et sociales). Et ceci en dépit des efforts de soutien en leur faveur. Sans ce changement, il s’agit toujours d’une course à pied contre une Ferrari.
Nous avons besoin d’une nouvelle stratégie, et cette stratégie est liée à l’amélioration de l’environnement de l’information et de la capacité des gens à discerner le vrai du faux. Cette idée est soutenue par le travail du Center for Humane Technology. Ils défendent l’idée que, par exemple, le changement climatique ne peut être résolu si on ne change pas d’abord l’objectif d’optimisation des profits qui sous-tend les réseaux sociaux et l’intelligence artificielle. En effet, ce sont eux qui déterminent une large portion de nos informations quotidiennes, et donc de la réalité que l’on observe. Des recherches menées à l’université de Yale et à l’Institut pour le futur vont dans le même sens.
La mobilisation et la sensibilisation sont les points sur lesquels se concentrent la plupart des acteurs du changement ou les groupes d’activistes. La mobilisation en faveur de la mise en place d’un environnement d’information qui nous aide — au lieu de nous empêcher — à discerner le vrai du faux et de prendre de meilleures décisions est un point de levier à fort impact.
Le fait qu’il soit rarement mis en avant est une excellente nouvelle, car cela peut expliquer en partie pourquoi nous échouons. Cela fait aussi quelque chose de nouveau à essayer.
C’est également une excellente nouvelle parce que c’est un point de levier qui unit. Que votre sujet d’intérêt soit le changement climatique, la pauvreté, le racisme ou toute autre question complexe, que vous penchiez à droite ou à gauche, vous n’aimez probablement pas être floué.e. Vous souhaitez probablement que les politiques gouvernent dans votre intérêt et celui de vos enfants. Nous ne sommes peut-être pas d’accord aujourd’hui sur ce qui doit être fait pour un meilleur avenir, mais nous sommes probablement d’accord sur le fait que mieux nous comprenons une question, meilleures seront les décisions que nous pourrons prendre, et pour cela, nous avons besoin d’un environnement d’information de qualité (plutôt qu’une fabrique d’ignorance, certainement faisant partie des raisons pour lesquelles nous ne parvenons pas à nous mettre d’accord en premier lieu !)
Se mobiliser pour améliorer l’environnement de l’information est une façon de cesser, comme on l’a vu dans cet article, de ramer dans la piscine d’un paquebot, et de commencer plutôt, enfin, à changer sa direction. Car c’est ce qui déterminera finalement notre destination.
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Un tableau résumant les résultats de l’analyse des raisons pour lesquelles le système politique résiste aux lois environnementales est disponible ici.
Cet article fait partie d’une série dont l’introduction se trouve ici.
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